Les Alouettes

In Actualité by Manuel CalaveraLaisser un commentaire

Par Pierre Palengat

Article publié dans La Chabriole, journal local ardéchois, au printemps 2020

Quelle époque ! Maintenant tout le monde est écolo, c’est amusant !

Notre président et son gouvernement, même le premier ministre qui dirigeait autrefois AREVA (le nucléaire français), à droite comme à gauche, au centre et même dans les extrêmes, il y a des écolos partout, dans les journaux, à la télé, dès qu’on allume la radio !

Dans la population aussi de nouvelles vocations écologistes apparaissent, comme des révélations, à  des citoyens qui ont toujours pris les protecteurs de la nature pour des idiots.

Jusqu’aux chasseurs qui se prétendent les premiers écologistes de France, on aura tout vu !

Il faut dire que les Français commencent à changer : en octobre 2019, un sondage de Business insider France publié sur le site capital.fr (ce ne sont pas des gauchistes !), l’écologie est devenue la première préoccupation des Français, avant même le chômage, l’insécurité, l’éducation, la retraite…

Devant cet incroyable verdissement, je ne crains plus d’être pris pour un écolo ridicule, ami des fleurs et des petits oiseaux. Je peux l’avouer maintenant, j’enregistre les chants et les cris des oiseaux depuis plus de 20 ans, et c’est passionnant !

Tant qu’à parler d’écologie, autant connaître le sens de ce mot qui fut employé pour la première fois en 1852 par l’écrivain américain Henry David Thoreau. Il vient du grec oikos « maison, habitat » et logos « discours ». Dans les dictionnaires, c’est « l’étude des milieux où vivent les êtres vivants, ainsi que des rapports de ces êtres avec le milieu ». Mais point besoin d’être scientifique pour être écologiste, le sens du mot a glissé vers 1968 en doctrine visant à une meilleure adaptation de l’homme à son environnement, et enfin c’est aussi aujourd’hui le courant politique défendant cette doctrine.

Pratiquons donc ensemble un peu d’écologie (dans son premier sens), à propos des deux espèces d’alouettes qu’on trouve à Saint-Michel : l’alouette des champs et l’alouette lulu.

Les deux sont presque jumelles et ont des mœurs à peu près similaires. Ce sont des oiseaux des steppes, des prairies et des champs. L’alouette des champs vit dans les prés, les cultures et les espaces dégagés, la Lulu apprécie également les buissons, les bois clairs. Chez nous, elle s’installe dans les landes à genêts, les collines broussailleuses, il y a de quoi faire ! Et on entend souvent les deux alouettes au-dessus d’une même prairie.

Les alouettes nichent et se nourrissent au sol de graines, de feuilles et d’insectes à la belle saison. Leur petit nid (6 cm de diamètre intérieur), caché contre une touffe d’herbe ou une motte, est presque invisible. Les deux alouettes ont un plumage camouflage brun rayé sur le dos, couleur de terre.

L’alouette des champs pèse 36-39 grammes pour 30-35 cm d’envergure, la Lulu est un peu plus petite. Dès le mois de février et jusqu’en été leurs chants, en vol, sont remarquables.

L’alouette des champs s’élève presque verticalement en chantant et continue de chanter en vol, en décrivant des courbes au-dessus de son territoire. Elle tourne et vire vers 100 m d’altitude, sans arrêter de chanter. Bientôt on ne voit plus qu’un petit point dans le ciel. C’est un des chants les plus longs, jusqu’à dix minutes sans interruption. L’alouette chante vraiment à perdre haleine. Comment fait-elle pour chanter sans s’arrêter ? Son organe vocal, la syrinx, fonctionne dans les deux sens, l’alouette chante en inspirant et en expirant, ce qui n’est pas évident. Essayez de chanter en inspirant, et sans tricher ! On sort les voyelles à peu près mais ce n’est pas facile !

L’alouette des champs est aussi un des chanteurs les plus rapides : elle peut envoyer jusqu’à 400 notes par seconde ! Ce n’est pas facile à imaginer puisqu’avec nos oreilles humaines, nous ne pouvons entendre qu’une douzaine de notes par seconde. En clair, dans la chanson de l’oiseau, nous n’entendons qu’une note sur vingt !

Le chant de la Lulu est beaucoup plus lent. Comme sa cousine, elle chante en vol, en décrivant des cercles et des spirales dans le ciel. Mais son chant est presque à l’inverse : tranquille, calme et  mélodieux. Les strophes sont assez courtes, trois secondes en moyenne, jusqu’à sept ou huit secondes quand l’oiseau est en forme. C’est un chant doux, flûté, musical, sur un air souvent  descendant, ce qui lui donne une tonalité mélancolique : lullullullullullul… duliduliduliduli…

J’ai souvent écouté et enregistré ces deux alouettes dans les prairies de Roves (à l’ouest du village), et dans d’autres prés au-dessus de la Combe où les deux espèces se côtoyaient. J’emploie le passé car depuis quelques années, peut-être cinq ans, il n’y a quasiment plus d’alouettes des champs ! Je les ai cherchées dans toutes les prairies jusqu’à Vernoux, Boffres… et n’ai entendu que quelques Lulus. Que sont devenues les alouettes des champs ? Que leur est-il arrivé ?

L’enquête commence par des chiffres, ceux du Muséum national d’histoire naturelle, c’est du sérieux.

Pour l’alouette des champs, la population française estimée en 2015 (nidification) est de 1 300 000 à 2 000 000 de couples. Tendance en déclin modéré.

La même année, on a compté 110 000 à 170 000 couples d’alouettes lulu. Tendance fluctuante, déclin modéré.

Comme la plupart des oiseaux de France, les populations d’alouettes sont donc en déclin : celle des champs, qui est chassée, a perdu 30% entre 1989 et 2013 (-55 % en Europe sur la période 1980/2014). Les effectifs de la Lulu (oiseau protégé) semblent plus stables, malgré une baisse de 19 % entre 2004 et 2013.

Les causes de ce déclin sont bien connues : d’abord l’agriculture, avec l’intensification des cultures céréalières, l’utilisation de pesticides, à laquelle il faut rajouter la chasse pour l’alouette des champs.

Concernant l’agriculture, il est plus que temps de changer de modèle. On ne produit pas de bons  aliments avec du poison, ça semble tellement évident. Aujourd’hui, 41 % des légumes et 70 % des fruits cultivés en agriculture « conventionnelle » contiennent des traces de pesticides, ce qui n’est pas bon pour la santé. De plus, entre autres méfaits comme la pollution des sols et des eaux de surface et souterraines, cette agriculture détruit très efficacement les insectes dont se nourrissent les oiseaux, et même les abeilles.

Pour défendre ce remarquable modèle agricole contre les vilains écolos qui n’aiment ni les ogm, ni les pesticides, le ministère de l’intérieur, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et le syndicat Jeunes agriculteurs (partisans de l’agriculture industrielle) ont signé une convention de partenariat pour « renforcer la sécurisation par la gendarmerie des exploitations agricoles ».

Cette nouvelle cellule de gendarmes porte le joli nom de Déméter, la déesse grecque des blés et des moissons. La mission de ces fins limiers est de lutter contre les atteintes au monde agricole, « l’agribashing » comme ils disent, détestable anglicisme qui signifie « dénigrement de l’agriculture ». Je suis donc présentement en plein délit, et ce n’est pas fini ! Peut-être même êtes-vous complice par la simple lecture de la Chabriole !

Gamin, à la fin des années 60, je gagnais parfois mon argent de poche dans un garage, en nettoyant des radiateurs de voitures. Pour les non-initié-e-s, le radiateur se trouve à l’avant, juste derrière la calandre, il sert à refroidir le moteur, et il reçoit tous les insectes percutés par la voiture.

La face avant du radiateur (en nid d’abeilles !) était complètement bouchée par les insectes écrasés, une vraie purée desséchée ! Au point que le moteur chauffait. J’utilisais un petit tournevis et une brosse métallique, c’était un travail long et fastidieux. En ce temps-là, on était aussi habitués à nettoyer et gratter les pare-brises…

Mais revenons à nos alouettes ! À Saint-Michel, quelle chance, le relief nous protège de l’agriculture industrielle et de ses poisons. Reste la chasse. Les alouettes de Saint-Michel ont-elles fini en pâté ou en brochettes ?

Je ne voudrais pas rendre cette lecture assommante, mais je suis allé me renseigner sur le site « Faune sauvage » de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), et ça vaut le coup d’oeil !

On y apprend que la chasse aux alouettes est interdite dans toute l’Europe sauf Chypre, Grèce, Italie, Malte, Roumanie, et France bien sûr !

Les derniers chiffres publiés sont ceux de la saison 2013/2014 : autour de 500 000 alouettes « prélevées » cette saison-là. Même si « aucune estimation fiable ne peut être produite pour de nombreux départements et régions ».

Les alouettes sont des migrateurs partiels. Ça signifie que, dans une population, une partie part en migration, et l’autre reste. De plus, en automne, des quantités d’alouettes viennent de Scandinavie, d’Europe centrale et orientale pour passer la mauvaise saison en France, essentiellement dans le Sud-Ouest. Une partie des alouettes ardéchoises part également dans cette direction, et ce n’est pas une bonne idée : la moitié du tableau de chasse national est réalisé en Aquitaine.

La Gironde, les Landes, les Pyrénées-Atlantiques et le Lot-et-Garonne sont les champions pour le nombre d’alouettes tuées au fusil chaque année (plus de 10 000 dans chaque département). Les chasseurs drômois ne sont pas mauvais non plus, avec, eux aussi, plus de 10 000 alouettes abattues.

Mais les chasseurs du Sud-Ouest sont les meilleurs pour les capturer à l’aide de filets (les pantes) ou de pièges (les matoles). C’est une chasse d’automne dite traditionnelle, même si chacun peut constater que nous ne sommes plus en 1950. C’est en octobre-novembre qu’arrivent les malheureux hivernants. Rien que dans le département des Landes, 188 000 furent tuées en 2013/2014.

Pourquoi de tels massacres ? J’ai trouvé une réponse sur l’étagère de la cuisine, dans le très classique : Je sais cuisiner, par Ginette Mathiot, édition de 1970. On y trouve deux recettes : alouettes au lard, alouettes plein beurre. Pour préparer chaque plat il faut 12 alouettes…

Pour aller plus loin :

Les chiffres de la chasse en France sont sur le site officiel : oncfs.gouv.fr

Ceux des populations d’oiseaux sont dans l’Atlas des oiseaux nicheurs de France métropolitaine, éd. Delachaux et Niestlé 2015. Le site de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) édite la liste rouge des espèces menacées : uicn.fr

Pierre Palengat, le 1er mars 2020

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